Des îles à la Sécurité civile…
Alexandre a commencé comme instructeur, avant de partir dans les îles y faire une partie de sa carrière. Après une expérience professionnelle dans l’Evasan et l’aviation d’affaires, il est revenu en France travailler dans une compagnie corse, puis il a rejoint la Sécurité civile comme captain Beech 200.
Jeune, Alexandre entendait parler d’avion par son père, pilote privé au Congo. Trente-cinq ans plus tard, il est aux commandes des Beech 200 de la Sécurité civile avec le grade de commandant de bord. Ces histoires d’avion et de brousse éveillent chez lui une envie dans un coin de la tête. Après un bref retour en France, en 2000, la famille repart s’installer à Madagascar. C’est là-bas qu’il va connaître la troisième dimension sur un Cessna 152, il est émerveillé d’être en l’air et de changer de point de vue sur le monde, il a 20 ans.
Le côté pilote de brousse l’attire : pouvoir se poser sur des pistes improbables, allez à la rencontre des autres dans des coins perdus, il y a un vrai parfum d’aventure. En attendant, il se pose encore beaucoup de questions. Au lycée, on lui a presque ri au nez quand il a dit qu’il voulait faire pilote : « Tu vois trop de pubs. » À l’époque, quand on parlait de pilote de ligne, tout le monde avait l’ENAC en tête, une option qu’Alexandre exclut assez vite compte tenu de son niveau scolaire pas assez élevé.
Malgré tout, il se renseigne sur les formations au Canada et aux USA, l’idée étant de revenir à « Mada », car, sur place, les licences outre-Atlantique sont reconnues. Mais, compte tenu de la logistique à mettre en place, c’est finalement en France qu’il prospecte. Il faut trouver une école avec une bonne réputation qui le prépare bien à entrer en compagnie aérienne. Une de ses connaissances, pilote professionnel, lui conseille l’EPAG dans le nord de la France.
En 2003, il débarque et, pour lui le Malgache d’adoption, cette vie « à l’étranger » est un choc. Il est loin, sans parents, sans amis, avec une impérieuse nécessité de réussir compte tenu du prêt de 115 000 euros qu’il a sur le dos. Il rate une première fois l’ATPL théorique (provoquant la colère du banquier…), la seconde sera la bonne. Il enchaîne sur la partie pratique de licence professionnelle avec la qualification multimoteur et la qualification de vol aux instruments. L’ambiance à l’école est très studieuse, très pro. Il est en permanence questionné sur ses connaissances. Les briefings peuvent durer trois à quatre heures avec des séances de questions qu’il fallait traiter. Les instructeurs veulent évaluer le degré d’autonomie des futurs pilotes. Les séances sont intenses, comme aux grandes heures de la formation pour la compagnie Air France. L’EPAG est à cette époque presque une voie naturelle pour la grande maison. Côté instructeur, il est sous pression, mais il aime ça. Il se souvient de son test IFR sur Baron 58, le top du stress. Mais il a le sentiment d’être très bien préparé aux exigences de son futur métier.
Licence en poche, comme tous les « newbies », il bombarde la planète de son CV avec ses 220 heures toutes fraîches, on ne sait jamais. On est en 2008, pile au moment du creux d’embauche à la suite de la crise économique liée aux « subprimes ». On recrute un peu en Afrique, mais il faut se payer une qualification de type (QT) et ça, c’est impossible pour le moment. Durant trois mois, il cherche à droite et à gauche. Il descend dans le sud et contacte SAAL Aviation qui cherche un instructeur. Il sera peut-être pris à condition de se payer la formation. Feu vert du banquier pour la qualification instructeur, moins onéreuse qu’une QT.
En novembre 2008, il attaque cette formation chez Aeropyrénées, à Perpignan. Comme convenu, SAAL Aviation l’embauche. Mais le premier jour, il se demande ce qu’il fait là, puis il y prend goût au point de passer sur un poste à plein temps. L’école a 14 avions, il est instructeur sol et vol. Quelquefois, il vole pour faire découvrir l’avion à des clients classiques et des personnes à mobilité réduite. Au bout de trois ans, il a deux mille heures d’instruction au compteur, soit en tout, 2300 heures. Il a acquis une solide expérience en vol : il va voir ailleurs.
Du piston au réacteur, tout va plus vite
Reste qu’il n’y a aucune heure de transport ou de ligne sur son CV, juste de l’instruction. Il décide alors de tenter « Mada ». Il trouve sur place un premier poste sur Cheyenne II, un biturbopropulseur, exploité par une boîte d’Evasan. Il lâche très vite, l’avion est toujours en maintenance. Il rencontre alors un homme d’affaires qui cherche un pilote pour son Cessna Citation 551 récemment acheté. On lui paie la QT et, là, l’aventure commence. Il passe du piston au réacteur et va se former en France au sein d’Airways avec un certain Michel Malécot, le fondateur de l’école. C’est une pointure de la formation, mais qui vous file de sacrées suées en l’air. Le travail aérien au sens besogneux du terme. « Il m’a filé tous ses trucs, ses méthodes, sa rigueur, ses connaissances, j’ai été formé au cordeau, mais j’ai beaucoup souffert », se souvient Alexandre en souriant.
À « Mada », il vole, mais aussi il gère l’exploitation de l’avion de A à Z : le kardex, la maintenance, le carnet cellule, les demandes de sortie du territoire avec contrôle systématique des gendarmes à la clé, qui finissent par bien le connaître. Un climat de confiance s’installe ; ils cesseront d’être très pointilleux. Bref, de simple pilote, il passe à gestionnaire d’exploitation, un apprentissage inédit.
Côté technique, il passe de 120 kt à plus de 300, ça va très vite, il faut être « devant » l’avion, anticiper les procédures, prévoir les zones. La compression du temps est une des étapes les plus difficiles… Il rayonne autour de l’île rouge, le surnom de Madagascar, pour des vols allant de 26 minutes la destination de Tamatave à une heure cinquante de vol pour la Réunion. « Tu prépares tout, tu es en autonomie totale, tu paies les taxes, tu fais tes plans de vol et tu dois tout anticiper ; c’est très formateur. Le salaire est l’équivalent d’un SMIC, mais pour la vie locale, ça va. Je découvre des situations inconnues pour moi ; j’ai vu mes premiers fronts orageux, juste énormissime ».
Il va voler environ 400 heures en deux ans sur Citation avant de rejoindre une petite compagnie d’affaires, GS Aviation, qui exploite un Beech 200 en Evasan et vol VIP. Il avait été repéré par les responsables de la Sipromad, un groupe malgache, qui possède GS. Il fait d’abord fonction de copilote, car l’avion est exploité en multipilote, ce qui lui permet de se familiariser avec la machine et les procédures de la compagnie. Ceci fait, en 2 mois, il devient commandant de bord. Une autre expérience démarre. Il va chercher des malades aux Comores et à la Réunion et il pilote parfois le président, les ministres et leurs conseillers dans tout le pays.
Cette exploitation le conduit à poser ses roues sur de vrais terrains de brousse auprès de populations qui n’ont pas vu un avion depuis 10 ans. Il y a environ 90 pistes à Madagascar et 45 sont régulièrement visitées, le reste fait l’objet d’une utilisation occasionnelle. Et donc, parfois, il faut appeler le chef du village en amont pour bien dégager la piste. Quand il a une panne, on met le système D en place : il décapote sur le terrain, appelle le mécano qui parfois conseille un bon coup de marteau sur une tubulure, et ça repart. Pas de panique pour le lecteur, les avions sont entretenus, mais parfois un p’tit choc, ça peut dépanner.
« Ton CV nous intéresse »
En 2016, la situation se dégrade et l’exploitation devient plus compliquée, c’est le moment de partir. Toutefois, s’il a bien monté ses heures, son CV montre de la brousse et beaucoup de débrouille, pas très valorisant pour revenir en Europe. Il envoie plus de 300 mails… Fin 2016, il reçoit un appel d’Air Archipel à Tahiti : « Ton CV nous intéresse. » Il change de terrain de jeu, mais garde les mêmes jouets : un Beech 200 pour de l’Evasan (90 % de l’activité) et de l’aviation d’affaires, essentiellement pour le gouvernement polynésien. Mais Tahiti est beaucoup plus petit. Cette fois, il est embauché comme commandant de bord direct, mais son adaptation en ligne (AEL) va durer 9 mois. Il va beaucoup voler pour le gouvernement, mais également pour quelques stars hollywoodiennes, Stallone ou Tom Cruise. Sympa les pax. C’est à ce moment que sa carrière s’étoffe avec des prises de responsabilité au sol. Il est responsable de la sécurité des vols, il analyse les Retex et édite un bulletin dédié pour l’ensemble des équipages. Il vole encore un peu, mais au bout d’un an et demi, il devient Responsable désigné des opérations en vol (RDOV). Il embrasse pas mal de tâches : planning des vols, validation du manuel d’exploitation (manex), gestion des pilotes, des temps de service, etc. Il a 35 ans.
Il est également à ce poste quand la compagnie décide d’arrêter le secteur Twin Otter qui dessert principalement le secteur des Marquises par manque de chef de secteur (Twin Otter). C’est l’époque de la baisse de fiabilité des appareils qui est compliquée à gérer en exploitation. Cet arrêt est un moment très dur pour lui ; à ce titre, ne refusant aucune expérience professionnelle à vivre, il passe ensuite responsable désigné de la formation des équipages (RDFE). Durant cette période, il refait intégralement les procédures de formation des équipages (avec de l’aide car c’est un travail titanesque et Alexandre ne s’arrête pas de voler pour autant).
L’exploitation des Beech est un vrai job d’aviateur. « Tu joues beaucoup avec la gestion carburant en fonction des terrains que tu dois desservir, tous ne sont pas avitaillés régulièrement, tu calcules ton bilan carburant sur le fil. Sur certains terrains, il n’y a pas d’éclairage de nuit, tu fais attention à ton horaire de décollage pour arriver au lever du soleil à destination. Et si tu pars la nuit, il faut trouver un terrain avec des loupiottes et du pétrole. C’était évidemment très intéressant, cela pouvait se jouer à 50 litres près, il fallait bien choisir ton emport, peser les gens. Parfois en Evasan, ils étaient trop lourds et là tu regardes bien ta météo de façon précise, les vents, les pistes possibles. Il y avait des terrains courts et, avec 70 % d’humidité, tu as intérêt à être pointu en calcul de perfo. Parfois, on faisait des pistes de 780 mètres. » Un bon souvenir a été les vols scolaires quand il fallait ramener les enfants en pension loin de chez eux à leurs parents dans les différentes îles pendant les vacances scolaires. Il fallait refaire le trajet quinze jours plus tard. Idem pour les tournées où la compagnie amenait dentistes, médecins et gendarmes dans les atolls pour les inspections médicales, tout le monde était soigné en même temps sur un même site.
Transporter des bulletins de vote en Beech 200
Alexandre a également fait le même trajet pour amener les bulletins de vote de la campagne présidentielle. La compagnie assurait 700 Evasan par an, parfois deux à trois par jour, 2 000 heures pour la compagnie. Alexandre avait rêvé d’aventure… Fin 2022, c’est le retour en France comme convenu avec sa compagne. Le temps de s’installer et Alexandre est embauché chez Altagna, une compagnie corse qui fait de l’Evasan. Elle vient d’acquérir un Beech 260, le même qu’Air Archipel. Alex connaît bien la machine et facilite la mise à jour documentaire avant la ligne pour la compagnie. Le rythme est une semaine off, une semaine on, le « off » étant chez lui sur le continent. Mais les promesses ne sont pas tenues pour un salaire deux fois le SMIC alors qu’il est TRI/TRE, tout en étant disponible au coup de sifflet, bref, comme en aviation d’affaires. Il restera à peine 6 mois et quitte en mars 2023 pendant la période d’essai. Commence alors une petite traversée du désert. Il a bien quelques touches avec Twinjet, mais les conditions ne sont pas optimales : il faut payer la QT et les frais de déplacement seraient à sa charge. De plus, le salaire n’est pas à la hauteur : les compétences, ça se paie. En même temps, il réactive sa qualification d’instructeur pour tenter sa chance dans les clubs.
Une petite traversée du désert côté pro
Durant quelques semaines, il va faire de l’intérim, mettre des bouteilles dans des cartons, empaqueter des fraises et d’autres petits boulots pour vivre. Un dirigeant d’un des ATO contactés lui fait part d’une opportunité : une petite compagnie suisse, Dal Aviation, vient de recevoir un Beech 260 neuf, sorti d’usine. Sa connaissance de la machine lui vaut d’être pris sur-le-champ. Il vole de nouveau en aviation d’affaires, mais, cette fois, l’exploitation couvre toute l’Europe. Et là, il découvre tout ce qu’il n’a jamais connu : des terrains avec du carburant (à coup sûr) toute l’année. Il n’a plus à le payer comme avant. Les aéroports sont tous dotés d’infrastructures de contrôle performantes, un vrai plaisir pour le « broussard » qu’il a été.
Il découvre aussi les tempêtes de neige, les pluies verglaçantes et surtout les moyens des plateformes pour faire face aux conditions hivernales. Alexandre connaît également les horaires variables et une exigence de disponibilité. Il a également un autre rapport avec les clients leur expliquant parfois pourquoi le vol se modifie en fonction des conditions météo. Il va même se poser sur le terrain de la Mole à Saint-Tropez accompagné par un instructeur qui le lâche. Il redécouvre les procédures européennes, les créneaux, etc. La transition est aussi surprenante qu’elle est riche d’expériences nouvelles. Il sillonne l’Europe, Stockholm, Djerba, la Tunisie… C’est aussi grand que la Polynésie, mais c’est mieux desservi.
Mais il fait partie du seul équipage de la compagnie et le rythme de travail devient intenable pour avoir une vie hors cockpit alors que l’avion est de plus en plus demandé. Il ne veut plus de cette vie qu’il a déjà connu en Polynésie où il voyait peu sa famille. Et puis, il se rend également compte que les tarifs « freelance » lui conviendraient beaucoup mieux. Il s’apprête à se mettre à son compte, mais au moment où il quitte la compagnie, il apprend qu’une candidature déposée, il y a quelques mois, auprès de la Sécurité civile intéresse l’institution. Il suit la procédure de recrutement qui le conduit à l’embauche sur Beech 200. Il est d’abord évalué par un psy avant un entretien de groupe et un autre en individuel. Ce qui est important, c’est de s’assurer qu’il a bien l’état d’esprit pour intégrer une équipe de pilotes très soudée, une petite famille. En septembre, son dernier vol d’essai est concluant.
Et, là, son rêve se réalise. « J’ai toujours été attiré par la Sécurité civile, car je voulais être utile à quelque chose, c’est pour cela que je me suis éclaté lors des Evasan. J’ai beaucoup parlé avec des pilotes de la « sécu » que j’avais rencontrés sur mon parcours. » Alexandre est entré en formation commandant de bord avec de nouvelles procédures et une nouvelle avionique à maîtriser. Il va faire encore quelques vols d’observation (en sac de sable) pour voir les autres pilotes travailler avant d’être opérationnel. Il est, bien sûr, basé à Nîmes-Garon, à peine 90 km de chez lui. Et si c’était à refaire, il aurait peut-être choisi d’être militaire dans la branche transport pour être utile. Aux côtés des Beech 200, il y a également les Dash 8 à piloter, voire les Canadair. C’est un nouvel avenir qui s’ouvre à lui avec sa part d’exaltations.
« Pouvoir se poser sur des pistes improbables, allez à la rencontre des autres dans des coins perdus, il y a un vrai parfum d’aventure… »
Ce portrait vient en complément du Guide des métiers de l’aérien 2025, édité par le magazine Aviation et Pilote qui est aussi organisateur du Salon des formations et métiers aéronautiques.
L’édition 2025 de ce hors-série Guide des métiers de l’aérien vous donnera toutes les réponses pour intégrer ses différentes filières, que vous souhaitiez travailler dans une compagnie aérienne, dans un aéroport, dans un atelier de maintenance, dans l’industrie aéronautique, spatiale et de la Défense ou que vous choisissiez la carrière militaire…
Marc-Olivier, pilote chez Cathay Pacific
Marc-Olivier Duga, 51 ans, est commandant de bord sur Airbus A350 pour Cathay Pacific. Après un passage dans la Marine nationale, il s’est expatrié pour voler.
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Loïc, 30 ans, est loadmaster tactique sur A400M au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace. Il a au départ une formation de mécanicien vecteur/cellule.
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Nicolas, 40 ans, est mécanicien navigant et treuilliste sur hélicoptère au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace, avec des responsabilités.